«Aux sombres héros de l’amer…qui ont su traverser les océans du vide ». (1)
Je ne sais pas vous, mais moi, les 14 derniers mois, je les ai trouvés un peu long…
Même l’été n’est pas d’un grand secours : météo erratique, pluies diluviennes d’un côté, canicule et incendies à n’en plus finir de l’autre, c’est bizarre. Et comme si ça ne suffisait pas : covid, vaccination, pass sanitaires, tensions à tous les étages.
Tensions à tous les étages…
C’est la première fois que je perçois cela. Des positions tranchées, une incapacité réciproque à écouter les arguments opposés, un affect sur vitaminé jusqu’au sein même des familles aux quatre coins de l’hexagone.
Comment on en est arrivé là ?
Depuis 14 mois nous subissons un tir nourri de nouvelles anxiogènes, un bombardement régulier et puissant d’informations contradictoires, inquiétantes, contraignantes, énervantes, décevantes...
Tout cela n’est pas sans conséquences. Il y a depuis le début de cette épidémie une pression informationnelle et affective dans laquelle il est difficile de penser sereinement, tranquillement.
De fait, une épidémie sévit dans l’épidémie, et, celle-ci risque de laisser des traces durables. Les psychiatres sont submergés et constatent les premiers suicides d’enfants. Les travaux de psychiatrie sociale montrent des indicateurs qui s’affolent (2). 30% des enfants et 25 % des parents ayant subi un confinement sont en détresse psychique selon la croix rouge (3). Les professionnels notent une inflation des problèmes de stress, de syndromes dépressifs, de dénis, de colère et de peur. Ils constatent une augmentation de la morbidité et suspectent une augmentation de la mortalité (2).
Dans ce « brouillard de guerre » (4), notre psyché est mise à rude épreuve, d’autant plus que la forme utilisée alterne les critères suivants :
Les abus d’autorité dans la gouvernance (fallait-il faire paniquer pour faire réagir ?).
Le catastrophisme (l’ambiance « fin des temps », « on va tous mourir » nous permet-elle de nous adapter ?),
La privation de soin (même un soin inutile médicalement à un impact psychique positif : l’effet placebo).
La privation de lien (nous sommes des animaux sociaux, pouvons-nous vivre isolés ?),
Le sentiment de manque d’équité (scandale des restaurants clandestins, petits commerces et grandes surfaces, etc.)
et, l’effet est accentué par :
Des facteurs de risque : la peur d’attraper le virus, la crainte pour l’avenir, la réduction des contrats sociaux et l’augmentation de la consommation de médias.
Des facteurs aggravants : les durées de confinement, le sentiment de subir des informations et des directives confuses ou malhonnêtes. La stigmatisation des personnes par la maladie , le comportement ou l’opinion.
La toxicité de ce nuage informationnel dépend tout autant de sa taille que de sa composition . Au-delà de la quantité d’informations que nous subissons, c’est la forme particulière, la présentation qui amène plutôt à la panique qu’à la prudence.
Bon, ça fait beaucoup d’info tout ça…une chose peut être à en extraire : ce qui nous fait souffrir c’est bien plus la perception et la vision que nous avons des choses que les choses elles même. Cela est dû à notre cerveau et plus particulièrement aux mécanismes de réaction au stress (5).
En situation « normale » le stress modifie notre dynamique interne pour une courte durée. Face à un danger, un tigre à dent de sabre par exemple, nous devenons hyper réceptifs, nos muscles se tendent, notre système hormonal est bouleversé. En quelques fractions de secondes nous sommes configurés pour fuir ou combattre.
En "mode dégradée" (6), le stress s’installe dans la durée et modifie de façon délétères notre façon de penser et d’appréhender le réel. Ce qui nous transformait en Superman, attentif à tout et prêt à bondir, nous rend fatigués, irritable, confus. On ne peut pas tout faire en même temps , mobiliser notre corps pour une action intense de courte durée et penser sereinement…
En effet, si en temps normal notre partie consciente, liée au lobe préfrontal de notre néo cortex (7), régule nos émotions, met de la distance par rapport au réel, nous permet de construire des raisonnements et de produire de la symbolique, et globalement permet le contrôle. Lors de stress intenses ou de de stress dans la durée ce mécanisme s’affaiblie. En effet lorsque nous combattons un ennemi il y a peu de place dans nos pensées pour réaliser une thèse sur les facteurs de violence…
Plus précisément certaines fonctions deviennent inopérantes :
La capacité à « monitorer l’erreur »: c’est-à-dire, vérifier avec la réalité la justesse et la validité de nos choix (a-t-on évalué l’impact des politiques sanitaires ? confinements, masques, conséquence psycho sociales ?)
La capacité à inhiber des réactions inappropriées (un petit tour sur FaceBook et les divers commentaires qui circulent devrait suffire à éclairer ce point).
La capacité à réguler nos émotions (Se sentir submergé par la peur, la colère ou la tristesse).
La mémoire devient moins fiable avec une incapacité à retenir certaines choses.
Une difficulté à se concentrer et/ ou à s’organiser.
Des prises de décisions moins fiables
Une perte de lucidité, de capacité de jugement et de moralité
Une baisse de l’empathie et de la compassion : « les anti vax n’ont qu’à crever ! » « Les pro-vax sont des moutons et de collabos ! ».
Ces pertes de contrôles inhibiteurs pouvant aller jusqu’à la perte de fonctions cognitives….
Nous ne sommes donc pas au top. Qui d’entre nous ne ce n’est pas déjà énervé en proférant des horreurs en voulant blesser et avoir raison pour, quelques heures plus tard, culpabiliser de son comportement ?
Mais voilà, ce n’est pas tout, cela a aussi des conséquences sur notre dynamique sociale: En état de stress nous avons tendance à nous agglomérer avec des gens qui pensent comme nous et à trouver un ennemi commun contre lequel combattre.
Cette appartenance à un groupe :
Influence notre perception de l’environnement et des autres (ex : toute personne extérieure au groupe est potentiellement dangereuse) et, est renforcé par les biais cognitifs comme le biais de confirmation (8) ou d’équiprobabilité (9).
Limite notre capacité d’empathie vis-à-vis « des autres ». Qui n’a pas un ami avec qui ça devient difficile ? Comment prendre en compte le ressenti de l’autre quand on est en permanence submergé par nos propres affects ?
Influence notre moralité. Nous avons tendance à penser que « la fin justifie les moyens ».
Peut aller jusqu’à des expressions de violence avec le risque ultime de lynchage.
Voilà le constat, nous sommes de moins en moins nous-mêmes et il est important que nous « reprenions la main » pour sortir de la pathologie et de l’affrontement.
L’environnement est ce qu’il est et, nous n’avons que peu voire pas d’influence sur celui-ci. Lorsqu’il pleut, nous pouvons nous morfondre ou nous équiper en marin breton et aller chercher des champignons…
La Psychosocionomie (10) est une des pistes de mise en action pour mieux comprendre nos réactions et agir sur celles-ci. Quels processus physiologiques, psychologiques, sociaux sont en œuvre et, comment individuellement et collectivement pouvons-nous les modifier ?
Nous pouvons aussi faire appel à la psychologie positive. Ses messages sont beaucoup moins puissants que les messages anxiogènes (l’évolution nous a rendu plus réactifs aux problèmes de survie qu’à la construction du bien-être). Ils demandent donc à être plus nombreux et plus présents, mais , ça marche .
Nous pouvons aussi nous appuyer sur les travaux de du sociologue Aaron Antonosky(11) en favorisant la « salutogénése ». Pour Jacques Besson(12), si nous percevons l'environnement comme compréhensibles, si nous conservons le pouvoir d’agir et si nous donnons du sens , nous créons une cohérence interne favorisant notre santé et nos capacité cognitives.
Faire du sport, s'occuper de son jardin ou avoir une activité qui mobilise notre corps et focalise notre pensée permet à notre cerveau de limiter les effets pathogénes decrit dans cet article. Enfin et surtout, limiter fortement l’exposition aux médias et à leurs messages anxiogènes est un bon point de départ.
Si nous ne faisons rien, il est peu probable que la situation evolue spontanément vers'un apaisement des tensions un retour "à la normale" sans traces durables.
Qui souhaite d’un monde clivé ou le moindre échange avec les collègues, les proches, la famille se transforme en guerre de religion ? D'autre part, une société de "bisounours" (13) apaisée et parfaitement stable est de l'ordre du fantasme. Nous avons besoin de désaccords, la question est : comment les réglons nous et sur quelle base ?
Tout d’abord, il semble nécessaire de reprendre nos esprits qui ont été durement sollicités en prennant en compte les effets sur nos corps et nos esprits d'un stress continu durant 14 mois. Ensuite, accepter que nous ayons des conflits alimentés par nos discours. Que, si nous arrêtions de les alimenter, nous n’aurions plus rien à nous dire et il ne resterait que l’action physique "une société qui refuse le conflit se condamne à l'affrontement" (Miguel Benasayag )(14). Nous pouvons aussi transformer le conflit en dialogue, en dialectique , en frictions qui ne perdent jamais de vue que nous devons , bon grés mal grés, nous articuler plutôt que nous affronter.
ressources complémentaires : presentation de J.D. Michel, article "Mariane" : https://crowdbunker.com/v/Mv4weESc4x
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