Le vocabulaire guerrier a été utilisé à maintes reprises pour définir la crise sanitaire que nous subissons.
De mon point de vue, le mot « guerre » n’est pas adapté à une pandémie. C’est un ajustement du vivant au vivant. Un virus que notre organisme n’a jamais rencontré s’invite dans nos vies et dans nos corps. Un ajustement va se faire.
Cependant, il y a certaines similitudes avec une situation de guerre. La nécessité d’orienter la production vers l’essentiel et l’apparition d’un « brouillard de guerre ».
Un « brouillard de guerre » (1) est un « brouillard » informationnel. Les informations sont incertaines, le taux de « fake news » augmente et l’incertitude aussi…
Nos modèles de décisions basés sur la collecte préalable d’un taux d’informations important justifiant l’action, sont de moins en moins efficients. Si nous ne faisons rien en attendant d’en savoir assez, la situation se dégrade encore plus. Si nous agissons nous n’avons aucune assurance de la pertinence de nos actions.
Alors que faire ?
Lorsque nous sommes pris dans une nappe de brouillard en voiture, nous éteignons nos phares car la forte intensité de ceux-ci nous est renvoyée par le nuage, nous éblouie et paradoxalement, diminue notre visibilité.
Nous pouvons nous arrêter sur le bord de la route en attendant que ça passe. Si nous n’avons pas d’obligations, et si nous avons les ressources, cela peut être une solution.
Nous pouvons foncer comme d’habitude en comptant sur le hasard et la destinée…
En règle générale, si nous en sommes équipés, nous utilisons des anti brouillard. Ceux-ci élargissent notre champ de vision et nous permettent de maintenir la trajectoire en éclairant les bas cotés.
D’autre part, notre capacité à appréhender ce que nous ne voyons pas, à nous préparer à l’improbable rend notre trajet plus sécure.
Mais, avant toutes choses, nous devons ralentir et focaliser notre attention de manière bien plus intense et ciblée que lorsque nous roulons en ligne droite, sur une autoroute déserte en pleine lumière.
En bref, nous devons très fortement adapter notre comportement pour continuer à avancer, certes doucement, mais régulièrement dans l’incertitude .
Revenons à la situation.
Nous pouvons constater que nous sommes submergés d’informations mais que celles-ci sont par moment contradictoires, par moment partiellement (voire totalement) erronées, et rarement contextualisées (nous sommes submergés de chiffres que nous ne pouvons pas comprendre et utiliser. Ex : le nombre de morts. Par rapport à quoi ? pour quels types de population ? avec quelle répartition géographique ? etc.)
Quelles en sont les conséquences ?
Il devient difficile de traiter l’information, de l’intégrer afin de produire des actions. Nous nous mettons à réagir ou nous nous inhibons. Les émotions deviennent plus vives : peur, colère, tristesse…et n’aident pas à mettre en œuvre des actions concrètes pour nous adapter.
En règle générale pour décider , nous tenons compte des expériences passées et nous projetons les conséquences pour un futur souhaitable.
À ce jour cette crise inédite, nous demande de trouver des solutions inédites.
Exit la reproduction d’une expérience passée par copier/coller.
Le « brouillard de guerre » nous inhibe et rend difficile toute projection fiable au niveau global (mutation du virus ? crise économique majeure ? renforcement rapide des conséquences du changement climatique ? modifications sociales importantes ? etc..) comme à un niveau plus local (quand vais-je pouvoir reprendre mon activité ? dans quelles conditions ? que puis-je faire en attendant ? comment vont mes proches ? quand pourrais-je sortir ? 500 morts, c’est grave ? etc.).
Exit une solution claire sous forme de plan d’action ou de retro planning (Projection du futur incertaine.)
La situation nous demande donc d’accepter (ou de subir) l’incertitude et de faire œuvre de créativité ici et maintenant.
Pour cela, il faut peut-être avant tout se défaire des modèles qui ne fonctionnent plus. Nous allons devoir remettre en cause certaines de nos croyances fortement ancrées depuis des décennies : « Pour avancer en science, il faut déconstruire les dogmes » (2). Pour avancer tout court, il semble qu’il soit nécessaire de faire de même. Quels sont les dogmes économiques, sociaux, organisationnels, personnels, écologiques que nous devons réévaluer ?
Comment sortir de la confusion, être créatif, et mettre en œuvre des actions concrètes et ciblées ?
Cette question très générale peut s’appliquer à notre périmètre d’action.
Psychosocionome, j’interviens auprès de PME, d’institutions et d’associations.
J’observe que cette crise et ce déficit d’information touchent chacun de nous de façons différentes en fonction de ce que nous sommes, de notre situation sociale, professionnelle, économique, familiale, géographique, de notre caractère, de notre éventuel vécu de précédentes périodes de crises, etc..
Chaqu’un de nous réagit donc de façon spécifique (3). Les groupes humains, les nations, les entreprises font aussi preuve de la même disparité (4). Et, l’efficacité des réponses globales va devoir s’appuyer sur ces disparités qui sont autant de richesses potentielles si elles sont partagées.
De la PME au comité de direction, des institutions aux associations, une partie de la réponse vient d’un environnement que nous ne maitrisons pas à ce jour (risque sanitaire, choix politiques, enjeux économiques contraints, choix sociétal, etc…). Il semble important dans un premier temps de ne pas se focaliser sur ces éléments pour lesquels nous n’avons que peu de prise dans la situation actuelle.
Peut-être, que comme dans la conduite en plein brouillard, nous pouvons orienter notre action de façon spécifique :
· Accepter de ralentir ou d’être contraint à le faire : en effet, maintenir le même rythme (voire accélérer) semble particulièrement périlleux. Produire pour produire n’a que peu de sens dans un monde à l’arrêt. Il est peut-être plus judicieux de voir comment reconfigurer un mouvement plus modeste mais plus sûr. Cela se fait déjà, les circuits courts se réactivent doucement.
Cette modification de rythme n’est malheureusement pas envisageable pour l’ambulance qui nous double. Les systèmes essentiels (santé, transport, énergie, ...) n’ont d’autre choix que de maintenir l’allure et d’accélérer avec de gros risques de sortie de route (burn out , épuisement, infection, etc.)
· Travailler en essai/erreur avec constance. Conduire dans le brouillard c’est aussi ajuster sa trajectoire en tenant compte du bruit que produit la voiture roulant sur le bas-côté. On ajuste. Pour une organisation, cela revient à commencer à répondre aux questions qui se posent : quel produit pour demain ? comment allons-nous repartir ? quelle organisation ? quelle relation avec les fournisseurs, avec les clients, avec l’environnement ? comment soutenir mes salariés ? comment sauver ma boite ? En acceptant d'envisager des solutions originales, de les mettre en oeuvre, de les évaluer et, de s'adapter.
· Favoriser le sens : On sait ou on va même si on ne sait pas comment on va y arriver. Le brouillard nous amène à faire des détours à s’égarer un peu. Le chemin est improbable par moment mais, la raison du voyage et la destination sont la boussole pour arriver à bon port.
Pour toute organisation et toute personne il est nécessaire de se projeter sur l’avenir souhaitable. Sur le sens de celui-ci. On ne renonce pas quand on est pris dans le brouillard, que l’on sait que l’on est attendu et que cela est important ou a de la valeur. Si l’on ne sait pas pourquoi on y va, le renoncement sera rapide.
· Utiliser l’intelligence collective : dans une voiture, tout peut être délégué au conducteur ou, celui-ci peut vouloir tout gérer seul. Si la situation est difficile, les passagers se sentent impuissants, incompétents, inquiets et comptent sur les capacités d’un seul. Par moment, ils peuvent aussi en vouloir au conducteur « qui n’a pas pris la bonne décision » « qui n’écoute jamais » etc.
Ou alors, chacun peut participer s’il se sent reconnu (5) compètent, en sécurité, en lien avec les autres et qu’il adhère à la destination choisie. Dans ce cas l’un s’occupera de la carte, l’autre surveillera les côtés, un autre appellera pour avertir du retard. Les chances d’arriver à bon port dans les meilleures conditions ont augmentées significativement.
Dans une entreprise ou au sein d'un groupe humain, la prise en compte de la richesse de chacun, l’articulation fluide entre les membres, permettent de voir émerger des solutions créatives. Même si cela peut apparaitre comme une banalité, celle-ci est rarement effective : nous sommes plus intelligents et efficaces à plusieurs que seuls.
· Renoncer aux croyances et questionner les dogmes : je lâche un peu la métaphore automobile, même si elle s’appliquerait encore, pour vous raconter une petite histoire : lorsque j’étais enfant, nous allions « aux champignons », je me souviens de cet ancien qui m’a dit « si tu te perds, regarde la mousse des arbres elle est au nord ». et….je me suis perdu. Malheureusement pour moi, la forêt était très humide et, la mousse faisait le tour des arbres. Heureusement, la vie à la campagne rend créatif. J’ai regardé le soleil à travers les feuilles, j’ai guetté les bruits et j’ai retrouvé mon chemin. Faut-il continuer à faire les mêmes choses ? dans les mêmes conditions ?
Si cela fait 3 fois que nous passons au même endroit et que nous continuions à reproduire le même parcours…pour arriver à bon port cela semble difficile. Il nous faut remettre en cause certaines croyances : « le marché va repartir comme avant », « les besoins sont toujours les mêmes », « le moins cher est la seule option », « je n’ai pas d’autres choix que de travailler avec X », « l’économie c’est un combat » etc, etc, etc. et la mousse des arbres indique le nord.
Il nous faut prendre le risque de penser, de ressentir et d’agir différemment.
· Structurer notre temps et nos actions : dans le brouillard nous pouvons nous sentir hébétés et finalement, dans cette brume enveloppante perdre jusqu’à nos repères internes. Ces structures qui sont amoindries ou qui ont disparu, nous sont nécessaires. à défaut nous pouvons en construire de nouvelles. Pour ceux qui sont en « mode dégradé » (6), les repères sont différents, la communication diminuée, le cadre de travail est au domicile et il est nécessaire de structurer les lieux, le temps et l’activité elle-même. Pour ceux qui sont en inactivité, le cadre, l’organisation du temps sont un « exosquelette » (7) qui nous protège de l’effondrement.
· Accepter d’être aidé et aider : si d'autres voitures ont déjà exploré une partie du chemin il serait dommage de ne pas mutualiser les expériences. le lien au niveau local avec les clients, les fournisseurs, les partenaires sont nécessaires pour créer des noyaux de résilience commun. Les professionnels de l'accompagnement et les experts des relations humaines sont aussi des ressources auxquelles il est précieux de faire appel dans ces conditions particulières. On est moins perdu ensemble.
Cette liste n’est pas exhaustive et participe des éléments utilisés par les psychosocionomes pour aider les organisations aujourd’hui à l’arrêt ou en « mode dégradé » à traverser ce brouillard.
Nous co apprenons ensemble. En associant nos compétences et notre expérience avec les compétences et les expériences de nos partenaires.
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j'ai évoqué dans cet article les notions de :
j'ai évoqué dans cet article les notions de :
Inhibition d'action lié au stress informationnel.
Articulations.
Altérité et coopération.
Besoins fondamentaux.
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(1) Le brouillard de guerre est un terme utilisé pour décrire l'absence ou le flou des informations pour des participants à des opérations militaires. Le terme se rapporte à l’incertitude des protagonistes quant à ses propres capacités, les capacités des adversaires, la position des forces et ses objectifs. (Expression crée par le général prussien Carl Von Clausewitz dans son ouvrage « De la Guerre ».
(6) Terme militaire : « Fonctionner en mode dégradé, c'est tenter de fournir le service jugé indispensable, en manquant de ressources complètes ou fiables ou régulières ». https://fr.wikipedia.org/wiki/Mode_dégradé
(7) Terme emprunté à M.Benassayag. https://www.philomag.com/les-idees/miguel-benasayag-il-faut-accepter-une-discipline-exterieure-a-soi-et-se-forger-un-petit
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